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nadia khouri-dagher, reporter
1 juillet 2006

X

X

Le monde arabe a un problème avec le sexe.
L'Occident a un problème avec le sexe.
Trop contrôlé dans un cas.
Trop libre pour l'autre.

Le contrôle sur la sexualité est le fait culturel qui choque le plus l'Occident dans la culture arabe, ce contrôle étant symbolisé par le voile féminin, devenu à son tour, à lui seul, symbole de la culture arabo-musulmane. A l'inverse, l'Occident veut ignorer que c'est sur la question des mœurs – et d'abord des mœurs sexuelles – que l'Islam intégriste s'oppose le plus à l'Occident. La question de la moralité – perçue comme amoralité – de l'Occident, et des valeurs qu'il exporte dans le monde entier, par la télévision, le cinéma, les magazines, et la mode, est centrale dans les perceptions par les musulmans de la culture occidentale, et donc dans leurs engagements politiques.

En la matière, comme pour toutes les autres, moi qui suis orientale mais française aussi, je me sens entre les deux, ni trop répressive ni trop permissive. Je suis, comme de nombreux Occidentaux aussi, choquée par les manifestations publiques de la sexualité en Occident, publicités géantes montrant des femmes dénudées dans des attitudes que seule la presse masculine osait montrer autrefois, clips musicaux que regarde mon fils à la télé où des chanteuses se montrent dans des tenues et des gestuelles vulgaires et dévergondées, mais ces mots même sont devenus démodés, quand je vois une mode qui dénude les corps à outrance, culottes qu'on exhibe fièrement, strings visibles pour les filles même toutes petites, slips dépassant de blue-jeans pour les adolescents, quand je vois des scènes torrides au cinéma, de plus en plus explicites mais inutiles au scénario, cours anatomique sur la reproduction humaine mais la plupart des gens n'en ont pas besoin, ou quand, enfin, allumant la télé dans une chambre d'hôtel un soir, je tombe sur un film porno qui ne me montre qu'une chair triste, hélas, et me fait relire dare-dare tous mes livres!

Je sais que la cause de tout ceci n'est pas une prétendue dégradation morale de l'Occident: c'est la loi de l'argent. C'est la loi marchande, car le sexe fait vendre, une femme nue fait vendre une voiture, le sexe à l'écran fait monter l'audimat, et les confessions intimes des stars et célébrités font exploser les tirages de la presse. L'évolution des mœurs est bien plutôt la conséquence de toute cette médiatisation du sexe que sa cause. Mais l'anthropologue que je suis, sait que parmi les nombreux points communs qui réunissent toutes les cultures du monde, il en est un, qui prend des formes diverses: c'est le tabou du sexe, que l'on n'exhibe jamais, même chez les peuples qui vivent très dénudés, Indiens d'Amazonie, Massaï ou bien Pygmées. Et se dit que l'Occident, par là, a transgressé ces dernières années un universel tabou. Un interdit. Danger.

Mais quand, en été, je peux, pour me sentir bien, et puis jolie aussi, porter une robe décolletée, un dos nu, un t-shirt à bretelles, et que je croise, dans les rues de Paris, une Pakistanaise ou une Française musulmane toute de long vêtue, les jambes comme les bras couverts, semblant étouffer par cette grande chaleur, si peu féminine, si peu séduisante, si niée à elle-même, avant de l'être aux autres, je me dis que j'ai bien de la chance, car le bonheur du corps c'est du bonheur aussi, et je me dis que ces femmes-là, ou ceux qui les convainquent que le corps c'est mauvais que la vue c'est le vice que la sexualité c'est haram tabou péché, ne connaissent pas l'histoire de leur culture, n'ont pas lu tous ces livres d'amour de séduction et de passion produits par leurs aînés à l'âge d'or de l'Islam* , n'ont pas vu ces gravures persanes ou indiennes où l'amour est célébré en images, danse musique et plus si affinités.

Sommes-nous si différents, Orient et Occident, sur cette question du sexe, que nous l'affirmons tant, de part et d'autre, aujourd'hui? Car dans nos miniatures persanes et nos poèmes galants, comme dans vos tableaux de femmes nues et vos sonnets amoureux, l'amour était célébré, autre manière de parler de sexualité, mais toujours la pudeur était au rendez-vous, et la vulgarité, jamais. Comme si finalement nous nous étions séparés, pour nos valeurs morales, vous en Occident et nous en Orient, depuis peu de temps. Depuis le temps du libéralisme marchand, accéléré ces dernières années. Depuis le temps de l'islamisme, réponse au précédent.

X: danger. C'est aussi ce qui est marqué sur les substances explosives.



*  Voir par exemple Ahmad al-Tifachi, Les Délices des cœurs, Phébus, 1981, ainsi que l'étude de Malek Chebel, Encyclopédie de l'amour en Islam, Payot, 1995.

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Commentaires
N
quelle ironie ces commentaires, heh ...<br /> <br /> Très bon article en tout cas. Je vous découvre aujourd'hui même mais les quelques textes que j'ai pu lire ici et là m'ont grandement intéressé.
S
Le sexe a tout de naturel et on ne se sent bien dans sa tete et dans son corps que lorsqu'on est libre avec le sexe . Faire du sexe un taboo est la pire les choses donc je prefere qu'il soit trop present que diabolisé
P
oui cet article est très bien pensé
P
Félicitations pour cet article !
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